Aime tout court

Elle n’arrivait pas à ne pas les aimer, ces tortionnaires pourtant.

En réalité, elle n’a jamais réussi à détester. En tout cas, pas depuis qu’elle l’a rencontré. La haine oui, la colère, l’aigreur, elle connait tout ça. Ils s’envolent comme une bouteille à la mer, ces mots qui lui deviennent si étrangers désormais. Elle n’y arrive plus. Elle n’arrive plus à éprouver la rancoeur, l’animosité, la vindicative. Elle essaie, et ça ne sort plus. L’Amour a trop frappé à sa porte, ces derniers temps.

Alors, elle devient faible. Ce courage valeureux la transforme ainsi, faiblesse d’un coeur sans remords. Sa gentillesse devient palpable, celle qui était pure folie encore avant.

Aimer est un danger social. Le courage des faibles a toujours fait peur au courage des forts, car l’on sait bien qui gagne à la fin du sabre bleu ou rouge. On le sait, on le sait. Parfois elle aimerait avoir le courage des forts, mais on lui a donné le courage des faibles, si bien qu’au lieu de la colère c’est l’empathie qui la prend face au tortionnaire aveugle.

Elle se dit qu’elle a un soucis, à aimer comme ça. C’est pas normal, ce truc, aimer comme ça. Aimer tout court. Aimer. Le mot aimer-et-c’est-tout. Elle aime celui qui chantait l’amour en disant « Aimer est plus fort que d’être aimé », et elle comprend de mieux en mieux le « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » du fils de Dieu, elle comprend. Elle comprend le « tends l’autre joue » chrétienne, elle comprend. Trop tard, elle comprend. Elle comprend, elle comprend. C’est fini, elle comprend. Elle a compris, grâce à un regard. Le regard de celui qui l’a rencontré par pur hasard au détour d’une tempête violente, ce regard qui lui disait « je t’aime ». Depuis, elle aime-tout-court. Elle aime tout court.